lemanagementdesincarneCi-dessous un article intégralement repris depuis le site business.lesechos.fr, que vous pourrez trouver dans sa version originale en cliquant ici, et avec lequel nous sommes ma fois bien d’accord !!! Avec pour les pressés nos passages préférés en bleu.


Le Prix du meilleur ouvrage sur le monde du travail, organisé par le Toit Citoyen, a été remis à Marie-Anne Dujarier pour « Le management désincarné  » qui décrit les dérives des « planneurs », ces faiseurs de dispositifs qui opèrent sans scrupules loin du terrain.

Qu’il s’agisse du nombre d’appels ou de rendez-vous assumés, du nombre de pannes ou de réclamations traités, de la proportion de contrats ou d’achats engrangés, les salariés des grandes organisations privées ou publiques ont tous des objectifs quantifiés et mesurés à atteindre. Y compris les journalistes… Ce management « par les nombres », qui se généralise, est élaboré par des « planneurs », des cadres qui imposent de nouveaux standards « campées sur ordinateur, comme vu d’avion, en plan, de manière abstraite » , décrit la sociologue du travail et des organisations Marie-Anne Dujarier dans « Le Management désincarné » (La Découverte), un livre déprimant, anxiogène mais palpitant sur les dérives du lean management.

Ce terme de « planneur » est un néologisme construit de toutes pièces par cette chercheur au Cnam-CNRS pour décrire ces « faiseurs et diffuseurs de dispositifs » qui « planent » . Chargés d’optimiser la performance d’une entité, de faire baisser les coûts (masse salariale, turn-over, absentéisme, risques, etc.), d’augmenter la valeur dégagée par l’entreprise (rendement, productivité, taux d’occupation, etc.), leur réussite se mesure à leur capacité à implémenter des dispositifs standardisés (ERP, lean, kaizen…) et à forcer le changement. Au service de la massification et de la standardisation, ces « planneurs», contrairement aux cadres de proximité, opèrent dans des bureaux éloignés des opérations concrètes et du terrain. Employés pour faire le «sale boulot managérial » ils ne font que manipuler des datas sur un écran.

Qui sont-ils ? Ni experts d’un métier ou d’un secteur, ni entrepreneurs, ni propriétaires, ni chercheurs, il sont intermédiaires financiers, auditeurs, ingénieurs méthodes, contrôleurs de gestion ou encore consultants, et rendent compte à des donneurs d’ordre (DRH, DSI, directeurs financiers et juridiques, associés de cabinet de conseil ou de fusions-acquisitions, etc.) . « Dans le conseil, ce sont de jeunes diplômés de grandes écoles qui n’ont jamais mis les pieds en entreprise et passent leurs journées à manipuler des algorithmes », témoigne Marie-Anne Dujarier. « L’inexpérience des dimensions matérielles, sociales et existentielles du travail devient alors une compétence pour ce genre de postes », analyse la sociologue.

Symptôme de l’absurdité de ce mode de management, les « planneurs », qui utilisent eux-mêmes des dispositifs et des process mis à disposition par leurs pairs, exercent également leur droit de critique sur le décalage de performance entre la théorie et la pratique. « Une direction informatique doit rendre des comptes au contrôle de gestion, appliquer des démarches qualité et des procédures RH, au même titre que la DRH doit utiliser les systèmes d’information concoctés par la DSI et suivre la démarche de pilotage par les objectifs animée par le contrôle de gestion. Or en pratique un DRH dit se fier davantage à son feeling pour recruter un proche qu’à la procédure dite d’évaluation mise en place dans son organisation », démontre Marie-Anne Dujarier.

Sur la même ligne, les dirigeants interviewés, issus de secteurs variés, affichent cette juste clairvoyance, soulignant les effets bureaucratiques fâcheux de ce management par la performance (multiplication des indicateurs, des systèmes d’information, des procédures, etc.) parfois contre-productif comme en témoignent divers opérateurs salariés dans l’ouvrage. Tous doutent des résultats, ne serait-ce qu’en matière d’innovation et de relation client.

Le plus grave et le plus préoccupant, c’est finalement l’enthousiasme de ces soldats «planneurs » , avides de missions improbables, tel ce spécialiste en gestion RH, appelé pour « licencier 500 personnes en trois mois sans faire de vagues  » qui se dit « excité par la mission » et « impatient de réussir ce beau challenge  ».

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